Le monde vit un paradoxe. Cette crise globale est due pour une large part à une économie de la dette. L’Occident a vécu à crédit. Peu importe au fond que les uns aient privilégié l’endettement public, les autres, l’endettement privé. Au bout du compte, le résultat est le même. Les dettes, encouragées par des taux d’intérêt très bas, n’ont cessé de gonfler des deux côtés de l’Atlantique.
Aujourd’hui, le soufflé retombe. Les bulles spéculatives crèvent les unes après les autres. Les sources de profit rapide se tarissent. Il n’y a plus de machines à fabriquer du cash et il reste les dettes, qui vont se gonfler des milliers de milliards de dollars injectés dans le système financier pour éviter son effondrement. Cette facture, il va bien falloir, d’une façon ou d’une autre, l’honorer. Mais pour sortir de la crise, inventer un nouveau modèle de croissance, relancer la machine économique, cela va nécessiter énormément d’argent. Et donc accroître ipso facto encore plus la dette.
Cette globalisation, qui a eu des mérites, a commis, ces dernières années, un péché contre l’esprit du capitalisme. Le libre-échangisme forcené, l’explosion du commerce mondial, les orgies spéculatives des marchés ont eu pour corollaire un sous-investissement dramatique. Certes, les usines chinoises ont poussé comme des champignons avec leurs halls en marbre. Les buildings, à Dubaï, Singapour, Shanghai et ailleurs, ont fleuri. Les 4×4 ont essaimé sur la planète, tout comme les petits jets privés. L’industrie du luxe et du bling-bling a prospéré. On a privilégié l’obsolescence rapide de produits, qui ne sont plus que jetables et non durables.
À l’inverse, les investissements collectifs ont été réduits à la portion congrue. Partout dans le monde. Les États, les collectivités se sont endettées pour financer leurs dépenses courantes, au lieu des équipements. L’armée française en est une caricature. On paie cher nos militaires de carrière, mais il n’y a plus d’argent pour les approvisionner en munitions ou leur fournir l’essence nécessaire. La recherche fondamentale est devenue le parent pauvre de nos économies. Les montants consacrés à la recherche énergétique, par exemple, sont dérisoires quand on les compare aux besoins et aux flux financiers. Le crédit a été utilisé pour le court terme, consommer, spéculer, et non pour investir à long terme et préparer l’avenir. S’il y avait un jour à instruire le procès de ce capitalisme global, ce serait là le principal chef d’accusation.
On ne s’en sortira pas sans lever massivement des capitaux, qui sont encore là, mais ne savent plus aujourd’hui où se placer. Le moment est donc venu de trouver de nouveaux modes de transformation de l’épargne. Il appartient aux États, les seuls en qui les épargnants aient encore un peu confiance, de les inventer. Il nous faut un grand emprunt. Il devrait être européen. Peut-être, faudra-t-il d’abord qu’il ne soit que national. Un emprunt dédié à l’investissement à long terme. Un emprunt dont le produit pourrait être réparti entre plusieurs grandes agences : ferroutage, énergies nouvelles, développement durable, armement, produits non polluants… Un emprunt perpétuel assorti d’un taux d’intérêt d’environ 3 % (rentabilité historique du capital), indexé sur l’inflation, et surtout net de tout impôt. Dans le climat d’aujourd’hui, un tel produit drainerait des centaines de milliards d’euros, rien qu’en France. Le monde financier avait toujours bloqué une telle initiative, car il ne voulait pas d’une telle concurrence. Il n’est plus aujourd’hui en mesure de s’y opposer. Voilà pourquoi le gouvernement doit foncer. Demain il sera peut-être trop tard.